#Fiche de lecture : « Le sacre de l’amateur » de Patrice Flichy

Au secours, « Les quidams ont conquis Internet » !

Pour les besoins de nos recherches, nous avons décidé d’étudier l’ouvrage “Le sacre de l’amateur. Sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique” écrit par Patrice Flichy, professeur de sociologie à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée. Spécialiste de l’innovation et des techniques d’information, il est également le co-fondateur de la revue Réseaux – Communication – Technologie – Société”.

L’ouvrage de Flichy a été publié en 2010 et compte 97 pages. L’auteur y aborde “la montée en puissance des amateurs” dans l’univers de l’informatique et de l’Internet collaboratif. L’étude de cet ouvrage est importante pour l’accomplissement de notre projet de recherches puisqu’il aborde avec précision la thématique des pratiques amateurs à l’ère du numérique. Il s’agit là d’une partie importante de notre travail. De plus, Patrice Flichy fait mention, brièvement mais tout de même, de la photographie numérique et de la manière dont elle est abordée et prise en charge par les amateurs et internautes. Il n’existe que peu de travaux véritablement dédiés à notre axe de recherche, c’est pourquoi il est nécessaire d’étudier des écrits spécialisés sur une thématique proche de la nôtre. 

Lorsque l’on cherche la définition du terme “amateur” sur le site officiel du dictionnaire Larousse, il est possible d’y trouver quatre définitions, quatre sens différents. Celui qui intéresse le plus notre auteur (et nous-mêmes), est le suivant : “Personne qui s’adonne à une activité artistique, sportive, etc. pour son plaisir et sans en faire profession, par opposition au professionnel”. D’un point de vue plus péjoratif, l’amateur désigne également une “personne qui manque de compétence, de qualification dans ce qu’elle fait, ou qui exerce une activité sans y apporter l’application ou l’assiduité désirable”. Cette signification doit également être prise en compte lorsque l’on aborde la question des pratiques amateurs.

Patrice Flichy débute son ouvrage et sa réflexion en partant d’un constat : “Les quidams ont conquis Internet”. Un quidam désigne “Un homme dont on ignore ou dont on tait le nom” soit un anonyme, une personne comme vous et moi. Les technologies de l’information et de la communication et Internet en particulier, ont bel et bien changé nos manières d’interagir, de communiquer, de travailler ou même de consommer. Véritable révolution pour beaucoup, celle-ci a eu pour conséquence de faire émerger et d’imposer la figure de l’amateur comme étant emblématique et dotée d’une nouvelle forme d’expertise. C’est grâce aux outils informatiques ainsi qu’à leurs expériences quotidiennes que ces amateurs acquièrent des savoir-faire et de nouvelles compétences qui leur permettent de rivaliser avec les experts. Flichy parle alors de “pro-am” (professionnel-amateur), d’expert autodidacte ou encore de citoyen-acteur. Quoi qu’il en soit, il s’agit bien d’un “créateur à part entière” qui parvient à modifier les codes en s’appropriant Internet et les nouvelles technologies grâce à des pratiques personnelles et parfois inédites.

Selon P. Flichy, l’amateur représente désormais une figure centrale dans le monde virtuel d’Internet où se côtoie des millions d’internautes, des particuliers mais aussi des professionnels. Il affirme dans l’introduction de son ouvrage que “Le web contemporain est devenu le royaume des amateurs”. Le Sacre de l’amateur est composé de trois chapitres distincts qui correspondent à trois champs d’activités dans lesquels la figure de l’amateur ne cesse de gagner en importance.

Ce premier domaine est celui de la culture. Internet représente un espace où il est possible de diffuser des œuvres de manière plus ou moins légale. Plus qu’un simple espace de diffusion et de partage, il s’agit également d’un espace dédié à la création où les internautes peuvent donner à voir leurs compétences et exprimer librement leur originalité. La musique, la photographie ou encore la littérature sont des exemples des domaines qui ont été touchés par l’émergence et l’action de ces professionnels-amateurs. De manière générale, Patrice Flichy affirme que ces internautes se regroupent au sein de communautés (de fans ou de passionnés notamment) dans lesquelles ils sont libres d’échanger et de partager à propos d’un sujet ou d’une pratique spécifique. Ils peuvent donc confronter leurs points de vues, leurs opinions ou se donner des conseils. Tout cela participe à l’émergence d’une culture de l’amateur en ligne tout en mettant en place un espace propice à la création.

Patrice Flichy s’appuie sur différents exemples de communautés en ligne à l’image de MySpace pour le cas de l’univers musical en ligne ou encore la rédaction d’un blog qui vient modifier notre manière de percevoir et d’aborder la littérature. En ce sens, les amateurs s’approprient les objets culturels plutôt que de les recevoir et de les consommer passivement. Ils peuvent également prolonger la production artistique sur le web comme c’est le cas pour certaines communautés de fans. Nous pensons plus particulièrement à la rédaction de “fanfiction” où de nombreux internautes et écrivains en herbe excellent. Une fanfiction se définit comme une “oeuvre littéraire qui met en scène des personnages déjà célèbres d’une autre oeuvre fictive. Elle est en général écrite par un fan pour donner suite à une oeuvre dont il ne veut pas voir arriver la fin. La fanfiction se caractérise souvent par un développement poussé de la psychologie des personnages”.

Le second champ d’activité mentionné par Patrice Flichy et qui aurait été impacté par l’émergence de la figure du pro-am est celui du domaine public et politique. Bien que celui soit un peu plus éloigné de notre sujet de mémoire, il reste intéressant à étudier afin de saisir un peu mieux l’essence des pratiques amateurs en ligne. Cette thématique nous permet également de voir à quel point cet amateurisme et les pratiques qui vont avec, ont modifié notre rapport à la prise de parole. Grâce à Internet, tout le monde ou presque, a la possibilité de s’exprimer de manière plus ou moins libre. Cette prise de parole est originale et nouvelle dans le sens où elle ne s’inscrit pas dans les schémas traditionnels du débat public (par le biais des médias notamment). Ici, l’internaute peut, de chez lui, s’exprimer sur un sujet par l’intermédiaire des réseaux sociaux donc ou encore d’un blog (comme celui-ci). Les outils informatiques et Internet permettent également de prendre parti et de revendiquer ses opinions, en signant une pétition en ligne par exemple. Les forums en ligne et les blogs permettent aux individus de s’affranchir des codes classiques du débat public. Nous pouvons ainsi parler d’une nouvelle forme de citoyenneté ou d’une nouvelle manière d’être citoyen en ligne. La toile peut être considérée comme un moyen de se faire entendre, de clamer ses opinions et notamment celles qui ne bénéficient pas d’assez d’attention dans les médias. Les avis marginalisés, les opinions oubliées et écartées trouvent leur place sur Internet.

Le troisième et dernier domaine abordé par Patrice Flichy est celui de la relation entretenue entre l’amateur et le monde de la connaissance. En effet, les nouvelles technologies et Internet ont contribué à démocratiser notre rapport au savoir. Le partage d’expérience en ligne permet de faciliter l’accès à des savoir-faire dont tout le monde, ou presque, peut profiter quotidiennement. L’auteur défend ici la thèse de la démocratisation scientifique et technique qui est opérée sur Internet, notamment à l’heure du web participatif. Il s’appuie sur l’exemple de Wikipédia, véritable encyclopédie en ligne qui peut être alimentée et mise à jour par des particuliers. L’émergence des logiciels libres témoigne également de l’action de ces professionnels-amateurs et de l’impact de leurs pratiques et usages des nouvelles technologies. Flichy valorise la coopération entre amateurs et véritables professionnels, dotés d’une expertise, qui pourrait amener à la création d’un nouveau schéma d’innovation et de progrès.

La réflexion de Patrice Flichy permet d’apporter un regard nouveau sur l’amateurisme contemporain et sur l’usage que font les amateurs des technologies de l’information et de la communication. C’est grâce à une démarche d’appropriation de ces outils que les pro-am parviennent à s’imposer et à encourager ce que l’auteur qualifie de “révolution silencieuse”.

Enfin, nous avons décidé de revenir plus en détails sur la partie de l’ouvrage consacrée à la “photographie numérique”. Cependant, il est important de noter que ce livre a été publié en 2010 soit il y a maintenant huit ans. Ainsi, malgré la pertinence des propos et des travaux de Flichy et étant donné la vitesse à laquelle évolue les nouvelles technologies, ces écrits ne sont plus véritablement actuels. Il n’est par exemple pas fait mention du réseau social Instagram dont la première version venait à peine de voir le jour à la même époque et qui ne connaissait donc pas l’engouement et le succès actuel. Flichy s’appuie sur “des sites d’agences de photos en ligne”, à l’image de “Fotolia” ou “Istock”. Ces sites permettent aux photographes, pour la plupart amateurs, de vendre directement leurs images à des clients. À la différence des banques d’images traditionnelles, ces sites proposent des images libres de droits qui sont donc beaucoup moins chères et plus abordables pour la plupart des internautes.

Patrice Flichy a également travaillé sur des sites gratuits d’hébergement et de partage de photographies et de vidéos. “Flickr est le plus connu”, selon lui. Il s’agit d’un site essentiellement dédié aux amateurs de photographie qui souhaitent partager leurs clichés. Par principe, les photos postées sur Flickr sont publiques, il faut modifier les paramètres afin de les rendre privées. Pour beaucoup, Flickr est perçu avant tout comme un espace de stockage, privé ou public donc, qui est simplement utilisé pour partager des photos avec des proches (via e-mail ou lien hypertexte).

Si la photographie a toujours été liée aux souvenirs personnels et aux moments forts de la vie, elle est aujourd’hui de plus en plus associée aux activités quotidiennes”.

En 2010 déjà, il était possible d’observer cette tendance à tout photographier, caractéristique qui est notamment associée à Instagram aujourd’hui et à l’utilisation qu’en font les plus jeunes générations. Plusieurs articles (de presse principalement) dénoncent cette manie à tout photographier et tout enregistrer. Pour certains, il s’agit d’un moyen de se rassurer et de se réapproprier un pouvoir sur le monde. Bien que Flichy n’en fasse pas mention ici, nous pensons que ses travaux pourraient être le point de départ d’une réflexion importante pour notre projet de recherche.

Flichy repère dès 2010 la constitution de groupes et de communautés autour de thématiques différentes sur le site Flickr. Ces groupes possèdent leur propre espace de discussion, dédié à la photographie et qui permet la mise en place “d’un dispositif coopératif d’évaluation réciproque, d’entraide, d’avis, etc”. Cette coopération virtuelle s’établit entre des amateurs-internautes dissemblables qui ont pour point commun la passion de la photographie. Nous retrouvons donc ici certaines caractéristiques du réseau social Instagram où il est également possible de discuter et d’échanger à propos d’un cliché grâce au système de messagerie de l’application ou par le biais de l’espace commentaire situé en dessous de chaque photo publiée. Enfin, Patrice Flichy conclut sa partie sur la photographie numérique par la possibilité offerte aux apprentis photographes d’indexer leurs clichés grâce à un système de tag (devenu le #hashtag sur Instagram). Ces tags permettent à un visiteur de trouver plus facilement le genre d’images qu’il recherche. Tout comme Instagram aujourd’hui, Flickr était déjà doté de la fonctionnalité de géolocalisation.

Ainsi, nous pensons que cet ouvrage de Patrice Flichy sera d’une aide considérable pour l’avancée de notre mémoire puisqu’il permet de cerner avec précision la figure de l’amateur à l’ère numérique. Ce sacre de l’amateur est particulièrement important pour nos recherches puisque c’est sur cette notion d’amateurisme que repose une grande partie de notre travail. Cependant, nous sommes conscientes que les recherches de P. Flichy datent de 2010 et ne correspondent plus tout à fait aux réalités online que nous connaissons. La figure du pro-am a eu huit années pour évoluer et s’approprier les nouveaux outils de l’information et de la communication, à l’image du réseau social Instagram. Les travaux de Flichy peuvent donc être envisagés comme le point de départ de notre réflexion et de notre cadre théorique.

 

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