#Fiche de lecture : « Téléphone mobile et photographie » de Carole Anne Rivière

Notre seconde fiche de lecture porte sur l’article « Téléphone mobile et photographie : les nouvelles formes de sociabilités visuelles au quotidien » écrit par Carole Anne Rivière et publié dans la revue Sociétés (n° 91, 2006).

Carole Anne Rivière est docteur en sociologie à l’IEP de Paris et a fait sa thèse sur « la sociabilité téléphonique ». Elle est également sociologue d’entreprise et chercheuse au laboratoire Sociologie des Usages et Statistiques de l’Information, Recherche et Développement. Elle exerce en libéral une activité de psychothérapeute et de recherche sur l’addiction à Internet.

La revue Sociétés est une revue bimestrielle de sciences humaines et sociales. Elle est créée en 1982 au CEAQ à l’Université de Paris. Le but de la revue est d’ouvrir au débat dans les domaines des sciences humaines et sociales et ce sans distinction de discipline. Les textes et articles publiés dans Sociétés sont écrits par des chercheurs issus d’universités étrangères et françaises. Ils doivent mobiliser débat et contradiction.

Dans cet article, Carole Anne Rivière commence par reprendre la définition qu’a donné Pierre Bourdieu de la fonction sociale de la photographie. Ce dernier la définit comme étant un moyen de « solenniser et éterniser les grands moments de la vie familiale ». Elle sert à « renforcer l’intégration du groupe familial en réaffirmant le sentiment qu’il a de lui-même et de son unité. » Toutefois, Carole Anne Rivière explique rapidement que les progrès technologiques ont très vite élargi la pratique photographique à des situations bien plus diversifiées qu’uniquement familiales et ont désacralisé son usage. En effet, selon une étude réalisée par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie citée dans Le Monde en 2003, 40% des individus déclaraient faire des photos en 1965 alors que ce sont aujourd’hui 81% des français qui pratiquent la photo amateure. Nous voyons ici clairement que l’utilisation des nouvelles technologies a modifié et fait évoluer la pratique de la photographie amateure. Cette pratique est liée à des groupes sociaux et des classes d’âges.

L’innovation technologique est responsable de la modification et de l’évolution de la pratique de la photographie amateure. On distingue deux temps principaux qui ont révolutionné cette pratique. Dans un premier temps, il s’agit de l’apparition de l’appareil photo numérique. Depuis 2001, les ventes d’appareils photo numériques ont dépassé celles des appareils photos traditionnels. Le second temps est la rencontre de la photographie numérique et du téléphone mobile. Cette innovation permet le partage instantané de la photographie avec son entourage. Grâce à cela, la photographie entre dans les relations interpersonnelles en tant que nouvelle forme de communication « scripto-visuelle ».

Carole Anne Rivière distingue deux grands temps de pistes de recherches : tout d’abord, la transformation radicale de la fonction sociale de la photographie du fait de son intégration à un objet de communication portable comme le téléphone mobile et dans un second temps le sens, la signification que prend dans nos sociétés modernes le développement d’un mode visuel de communication interpersonnel du point de vue de ce qui est mobilisé dans les registres émotionnel, imaginaire et symbolique pour représenter et faire exister le lien à l’autre.

Carole Anne Rivière commence par aborder la transformation de la fonction sociale de la photographie. Elle cite D. Schnapper et R. Castels qui affirment en 1965 « que tout concourt à rapprocher la photographie, moyen objectif par excellence d’enregistrer le réel, et la presse, qui a pour fonction de communiquer les actions humaines effectives ». Nous pouvons donc dans cette optique étendre le rapprochement entre l’utilisation de l’image pour témoigner et l’utilisation d’un média de communication pour transmettre à l’association d’un téléphone mobile et de l’image photographique. En effet, l’utilisation de l’image pour communiquer grâce au téléphone mobile permet l’actualisation d’un spectre d’usages quotidiens dans la continuité de la fonction sociale de « reliance » du mobile. Le cliché photographique va de cette manière acquérir une valeur d’usage au quotidien que l’on peut rapprocher de la fonction événementielle de la photographie de la presse quotidienne.

Le téléphone mobile a eu pour effet la banalisation de l’acte photographique puisque chacun a pu s’en servir n’importe quand sans recherche d’esthétisme particulier. L’évolution de la pratique photographique consiste d’abord en une mutation d’une pratique traditionnelle occasionnelle avec des intentions esthétiques ou d’archives à une pratique quotidienne qui capture l’instant présent, l’inattendu. Le téléphone mobile existe en premier lieu par son statut d’objet prothésique de la personne.

Avec l’utilisation du téléphone mobile, la dimension de représentation que soulignaient Bourdieu et Barthes est mise non plus au service du réel passé mais du réel présent. Cette pratique renforce un mode de participation au monde puisque le cliché peut immédiatement être partagé en mettant en scène ce qui est vécu ensemble. La photographie acquiert un statut de média de communication instantané. Il s’agit d’un mode de communication visuel, sur un registre hyper-réel.  

La photographie fait acte d’une traduction de normes sociales plus ou moins explicites selon les contextes. Il est donc légitime de se demander si la nouvelle liberté donnée à l’usage privé de la photographie et son inscription dans une fonction de communication interpersonnelle renvoie à un nouveau registre de significations sociales. L’acte photographique soutient le travail de la pensée et participe à une opération de symbolisation du monde et d’assimilation psychique de ce qui nous entoure. La photographie permet de mettre en image la perception du monde de l’individu. Ainsi, cette forme de communication que l’on peut qualifier de nouvelle fait entrer dans la sphère privée des relations interpersonnelles, les valeurs hédonistes, ludiques, conjuguées à celle de recherche du gain de temps, d’efficacité et de rentabilité portées par le souci de performance dans la sphère économique.

La photographie est, selon Carole Anne Rivière, un outil d’optimisation et d’efficacité informative de la communication. En effet, l’enrichissement visuel est optimisé à son maximum. La représentation du réel prend ainsi une valeur d’expression de la réalité moins ambiguë que l’écriture.

Dans un second temps, Carole Anne Rivière aborde les nouvelles formes de sociabilité et postmodernité. La postmodernité peut être résumée comme étant une tentative d’interprétation du changement des sociétés occidentales s’appuyant sur l’analyse de la consommation et de la culture. Les nouveaux objets de communication comme le mobile traduisent plusieurs tendances emblématiques de l’actualisation des valeurs postmodernes. Les premières conditions d’une transformation dans la représentation du lien temporel à l’autre ont lieu avec la diffusion du téléphone mobile. La déterritorialisation de la communication permet l’incarnation d’un idéal d’autonomie personnelle et de liberté. L’objet mobile permet également un modèle de communication fusionnelle qui lutte contre l’angoisse d’abandon et de solitude. Cette dématérialisation du contact offre l’expression d’un « être ensemble » ou d’un « être avec ». Elle donne l’impression d’une plus grande liberté et d’une autonomie individuelle tout en gardant à l’esprit cette notion de non-séparation.

La valeur de l’image comme accès au monde et à l’autre est réinterrogée par la fonction de nature télé-visuelle de la photographie mobile. Le sociologue Daniel Bell parle en 1976 de la distance entre l’œuvre et le spectateur pour désigner la disparition de la contemplation esthétique et de l’interprétation raisonnée au profit de la sensation, de la simultanéité et du culte de l’émotion directe. On comprend ainsi que le surinvestissement de l’émotion comme valeur de communication passe par le surinvestissement de l’image comme accès au monde et à l’autre. Les irruptions dans les relations interpersonnelles via des médiations technologiques commencent à apparaître. L’instantanéité est une notion importante. Notamment, l’instantanéité des échanges permet l’adhésion à un imaginaire commun partagé et plaisant.

La postmodernité met en relation la disparition des grandes idéologies et l’idée de progrès. Nous sommes aujourd’hui dans une société pour laquelle le temps présent, l’instant, l’immédiateté sont les horizons de recherches et de satisfaction du plaisir. L’espace de communication collectif est centré sur un échange de contenus intimes, ludiques, sans finalité rationnelle et informationnelle mais plutôt sensationnelle. On se met soi-même en scène, l’individu vit avec intensité et partage avec d’autres le contenu de ses expériences intimes et ce en les exposant sur l’écran.

Ainsi, Carole Anne Rivière explique que le visuel est aujourd’hui l’axe de développement majeur des nouveaux modes de communication interpersonnelle. Il apparaît dans la vie des individus comme étant un mode d’expression et de représentation d’eux-mêmes et garantissant l’accès à la figure de l’autre. La diffusion grâce à Internet est plus importante et naît cette envie de « voir » l’autre.

Le téléphone mobile pourrait bien devenir le symbole de notre économie frivole cultivant le goût du gadget et sa folie technologique. En effet, ce dernier semble être en adéquation avec les valeurs dites dominantes de la postmodernité : l’hédonisme qui recherche le plaisir immédiat, la valorisation du présent comme temporalité dominante, l’expression de l’autonomie personnelle et du narcissisme social. Le « voir » devient un véritable enjeu qui se renforce avec les nouvelles technologies.

Nous pensons que cet article de Carole Anne Rivière est pertinent dans le cadre de notre sujet de mémoire. Notre sujet s’axant autour de l’évolution de la pratique de la photographie amateure par l’usage des réseaux sociaux et d’Instagram plus particulièrement, il nous semble intéressant d’étudier l’évolution de la photographie et de son utilisation avec l’arrivée des nouvelles technologies et notamment du téléphone mobile. Nous pensons toutefois qu’il faut veiller à garder à l’esprit que cet article a été publié en 2006, date à laquelle Instagram n’existait pas encore. Beaucoup de choses ont évolué depuis, aussi ce détail a son importance et est à prendre en compte. Cet article reste néanmoins d’une grande aide pour notre travail de mémoire et nous éclaire sur bien des points. Une approche historique et contextuelle est toujours très importante lors d’un travail de recherche comme le nôtre, voire indispensable. Voici pourquoi nous avons décidé d’étudier cet article de Carole Anne Rivière qui, nous le pensons, nous sera bien utile.

 

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